Texte inédit
Dans la Revue du Hot Club de France – Jazz datant de juillet-août 1946, le saxophoniste ténor Albert Ferreri décrit l’apparition du jazz en France et les problèmes qu’ont rencontrés les musiciens: » Dès la fin de la Grande Guerre, en 1919, le jazz fait une timide apparition sur la terre de France, et dans les dancings tout ce qui porte un nom américanisé est engagé à prix d’or. Les musiciens français s’adaptent lentement à ce genre de musique qu’ils ne connaissent que par de mauvais musiciens ou de mauvais disques, car les mauvais musiciens se font déjà remarquer en remuant beaucoup et en faisant le plus de bruit possible. C’est la belle époque de » la (sic) jazz-band “. Et cela ira de ce train jusqu’en 1930 où sévissaient le crise et le chômage… Les musiciens sont assez sérieusement touchés, la » main d’oeuvre “ étrangère étant par trop nombreuse. Cependant en 1936, les musiciens obtiennent la promulgation d’un décret limitant à 30% la proportion des étrangers admis à travailler dans les établissements, pourcentage qui est ramené en 1939 à 10%; comme toutes les lois françaises, celles-ci ne furent pas toujours rspectées, mais c’était quand même une petite consolation… Nous voici en 1946. Les français ont leur petite place au soleil chez eux, mais… quand c’est fini, ça recommence… Quelques mauvais musiciens d’avant-guerre ont déjà fait leur rentrée, en attendant les navets d’Amérique – car il y en a aussi là-bas – d’Angleterre ou de Mésopotamie (sic), qui seront engagés à bon prix pour faire le pourcentage ou comme deuxième orchestre pour jouer les tangos, rumbas ou valses musettes (sic)! Est-ce là le résultat que nous cherchons? On le croirait. Que fait donc le syndicat contre cela? Rien. (…) Pourquoi ne pas faire une section à part de tous les musiciens de jazz? Si nous étions tous solidaires, nous pourrions imposer partout notre loi (…) Lorsque je parle d’ » étrangers “ je ne parle pas de certains musiciens qui sont en France depuis de longues années, qui implorent leur naturalisation et ne l’obtiennent que rarement, bien qu’ayant fait leur devoir chez nous ou au côté des Alliés … “ ( Revue du Hot Club de France – jazz, juillet-août 1946, p.17 ).
Dans le numéro d’octobre 1945 de la Revue du Hot Club on peut lire ceci dans la rubrique » Le jazz à Paris « : » Les amateurs de jazz ou musiciens alliés qui parviennent à obtenir une permission pour passer quelques jours à Paris, déplorent le peu d’activité dont témoigne le jazz français et la difficulté qu’ils rencontrent à écouter nos meilleurs artistes dans des circonstances favorables. Le nombre de ceux-ci dépasse tout ce qu’on peut imaginer et les locaux exigus du H.C.F ont parfois du mal à contenir tous les amateurs en uniforme qui viennent, soit pour demander où il leur serait possible d’écouter Django Reinhardt, soit d’obtenir un exemplaire de la Hot Discographie, soit encore se procurer des disques français. » Un peu plus loin sur la même colonne: » Une revue nègre » Jive’s a Poppin » bien plaisante resta également quelques jours dans la capitale et se produisit au Théâtre de la Madeleine; l’orchestre de jazz qui tenait la scène au cours de tout le spectacle était composé de quelques bons éléments, dont le drummer Kenneth Clark (sic). Sur la même page de la revue figure une autre rubrique: » Où ils jouent « . Voici ce que l’on y lit: » – Aimé Barelli et son orchestre sont à l’Aiglon; – Jerry Mengo et son orchestre sont au Boeuf sur le Toit; – Charley Lewis et son orchestre sont au Jimmy’s; – Noël Chiboust et son orchestre débutent à l’Escurial au début d’octobre « . ( Revue du Hot Club de France – jazz, octobre 1945, p.23 ).
Il faut restituer le rôle et la vie des batteurs dans le monde de l’époque. Au cours des années 40 et 50, la musique occupait une place très importante dans la vie quotidienne des Français et des Parisiens en particulier. Les batteurs jouaient dans des orchestres qui se produisaient aussi bien dans des cafés, des guinguettes, des restaurants, des salles de bal que dans des clubs, des cabarets, des cinémas, des music-halls et des salles de concert. Ils jouaient donc tous de la musique pour la danse ou pour le spectacle où se mêlaient de la variété, de la variété » jazzifiante » et du jazz. Aucun d’eux ne vivait exclusivement du jazz. Ils participaient également à de très nombreuses séances d’enregistrement. Se distinguaient alors les batteurs autodidactes qui jouaient exclusivement d’instinct et les excellents lecteurs, » les grands professionnels » comme on disait à l’époque.
Certains clubs s’ouvraient, d’autres fermaient leurs portes. Au fur et à mesure des mois et des années les batteurs se produiront à la Rose Rouge qui a ouvert au lendemain de la guerre, au Tabou qui débute en 1947, au Club Saint-Germain inauguré le 11 juin 1948, au Vieux Colombier ouvert en janvier 1949, aux Trois Mailletz dont l’existence a commencé en 1950, au Caveau de la Montagne, au Caveau de la Huchette, à l’Arlequin et au cours de jam-sessions qui se dérouleront au siège du Hot Club de France – association créée en décembre 1932, première organisation au monde fondée en vue de défendre et de promouvoir la musique de jazz. Dans le numéro de Jazz Hot de 1956 on trouve les noms d’autres clubs tels que Le Kentucky, le Club Montpensier, La Cigale et le Caméléon. Dans le Jazz Hot de janvier 1960 figure aussi le Mars Club, le Saxo Club, Au tournoi, Spaghetti servie et surtout le Blue Note qui avait ouvert ses portes en 1958. Il y aura aussi le Living Room.
Le batteur Roger Paraboschi a eu la gentillesse de m’accueillir chez lui pour me parler des batteurs de jazz qui se sont produits sur la scène parisienne au cours des années 40 et 50. Chaque nom que je mentionnais correspondait chez Roger à un souvenir, à une anecdote ou à une caractéristique stylistique. Lui-même m’en a cité beaucoup d’autres, célèbres en leur temps, dont j’ignorais totalement l’existence. Le seul batteur que j’avais personnellement bien connu était Dante Agostini. Voici ce que j’ai conservé de cet entretien émouvant avec Roger.
– Mac Kac, de son vrai nom Baptiste Reille, est un gitan qui a commencé à jouer de la batterie vers 1940. C’était un très bon rythmicien. il s’est produit avec des gitans, a joué au Club Saint-Germain. Il a remplacé Roger Paraboschi auprès de Stéphane Grappelli en 1954. Mort à Sète, il est enterré à côté de Georges Brassens. Chanteur, il est l’un des premiers à enregistrer en français du rock and roll en 45 tours (Mac Kac et son Rock and Roll) dont certains titres hauts en couleurs sont signés de François Galépidès (alias Moustache) et Sacha Distel: T’es partie en socquettes, j’vais m’en j’ter un derrière la cravate ou j’ai j’té ma clef dans un tonneau d’goudron.
– Armand Molinetti était un batteur showman, connaissant parfaitement la technique du tambour militaire. Comme dit Roger: » c’était la grosse pointure » entre les années 40 et 60. Batteur de studio excellent lecteur Armand a joué dans les big bands d’Alix Combelle et de Jacques Hélian pendant l’occupation. On l’a entendu dans de très nombreuse revues de music-hall au cours des séances de cinéma qui se déroulaient de la manière suivante: il y avait les actualités, un dessin animé, un documentaire, l’orchestre qui se produisait sur la scène et le film. Puis, le même programme était renouvelé pour la séance suivante! Les cinémas célèbres étaient notamment le Normandie, à côté du Lido sur les Champs-Elysées, où se produisait en attraction avant le film l’orchestre de Jacques Météhen composé de 26 musiciens, le Gaumont Palace place Clichy et le Rex sur les grands boulevards. Armand Molinetti était un batteur célèbre et admiré de tous. Il s’est tué en voiture.
– Jacques Martinon a quitté le métier très tôt, en 1946-47. Il est l’un des premiers batteurs à s’être intéressé au bebop. Il a joué avec Django Reinhardt.
– Gérard Pochonet. Fils du président de la Fédération Française de Football, il est devenu leader d’orchestre. On l’entend dans les années 50 aux côtés d’André Persiani, de Michel De Villers, de Bill Coleman, d’Alix Combelle. Il accompagne Mary Lou Williams. Il a enregistré aux Etats-Unis à partir de 1959 avec Paul Quinichette, Paul Gonsalves, Wild Bill Davis et bien d’autres. Il a fini sa vie paralysé.
– Arthur Motta. batteur tous terrains d’origine italienne, il s’est produit avec les plus célèbres big bands – ceux de Claude Bolling, d’Hubert Rostaing et de Raymond Lefèvre entre les années 40 et 70. Batteur complet travaillant beaucoup dans les studios pour des séances d’enregistrement, il a été membre du Quintette du Hot Club de France. Arthur s’est tué en voiture comme Armand Molinetti.
– André Jourdan. Célèbre batteur entre les années 40 et 60. Il joue dans le Quintette du Hot Club de France avec Django Reinhardt et Hubert Rostaing. Il a remplacé Pierre Fouad au sein de cet orchestre. On trouve André chez Aimé Barelli, dont le morceau fétiche était Caravan qui se concluait sur un grand solo de batterie. Spécialiste des balais, Roger Paraboschi l’a beaucoup écouté. Le répertoire de l’orchestre était très eclectique: fox trot, passo doble, tango, jazz. Quand on jouait latin, précise Roger, il y avait toujours un percussionniste à main dans le big band. Batteur-musicien, André jouait très près du thème quand il prenait un solo. On pouvait en chanter la mélodie aisément quand il prenait ce solo. Epuisé par la vie, André s’est suicidé en se jetant par la fenêtre du sixième étage d’un hôtel de Madrid alors qu’il était avec l’orchestre de Bernard Hilda.
– Georges Marion. Batteur de petite formation, on l’entend avec Jacques Diéval et Willy Keth notamment. Il était très actif entre 1945 et 1950.
– Robert Montmarché. D’origine antillaise, il a beaucoup joué avec le remarquable saxophoniste alto Robert Mavounzy. il s’est aussi produit avec Benny Carter.
– François Galépidès, dit » Moustache « , est un personnage haut en couleur. Très corpulent, il tenait la batterie chez » Les Gros Minets « , formation dont il était le leader. Il a accompagné Claude Luter. Comédien, il a aussi travaillé pour le cinéma.
– Maurice Chaillou. remarquable batteur des années 35-45. Il a fait partie de l’orchestre de Ray Ventura, de celui d’André Ekyan, et de celui de Noël Chiboust. Il jouait de la musique de danse » jazzy » dans des cabarets chics. Roger Paraboschi avait l’habitude de le rencontrer à la piscine des Tourelles, à la Porte des Lilas. Il y parlaient batterie. et c’est dans cette piscine que Maurice s’est tué en glissant accidentellement sur le bord en béton.
– Bernard Planchenault. Batteur attitré de la Rose Rouge dans les années 50, il a aussi été le batteur de l’orchestre de Raymond Le Sénéchal. Il a accompagné des musiciens américains tels que Billy Eckstine (1955), Don Byas, Bill Coleman, James Moody.
– Pierre Fouad. Parent du roi Farouk, venu d’Egypte en France pour y suivre des études, il les a terminées… dans les clubs de jazz! Batteur gaucher, à la personnalité très forte, Pierre est un exubérant. Il a transposé les rythmes de la musique orientale dans le jazz. On sentait bien cette culture dans son jeu. Il avait un sens du tempo exceptionnel. André Hodeir en fait un portrait qui ne manque pas de piquant dans la Revue du Hot Club de France de janvier-février 1946. En voici quelques extraits: » Grand, le front déjà largement dénudé, avec de grands yeux myopes et son célèbre nez, si cher à l’impitoyable Chaput: toujours bien vêtu, l’air indolent et altier, mais s’animant dans le feu de la discussion si le sujet le touche, jusqu’à abuser d’une voix un peu trop puissante au gré de certaines oreilles sensibles; caustique, railleur, impénitent, plus préoccupé d’esprit que d’idées ou de sentiments, tel apparaît Pierre Fouad, l’une des grandes figures du jazz français (il est d’ailleurs égyptien) « . Et Hodeir ajoute un peu plus loin: » Son sens du swing est si puissant qu’il en néglige parfois les autres aspects de la musique de jazz; ainsi la poésie des vieux blues le touche-t-elle moins qu’une bonne partie de contrebasse. Trop souvent à mon gré, il tolérera un soliste dépourvu d’inspiration et même de musicalité si la section rythmique marche bien. Par ailleurs, il accuse un certain penchant pour la facilité qui l’incline souvent à priser des mélodies ou arrangements plus ou moins saccharinés. Mais disons à sa décharge qu’il préfère néanmoins de beaucoup – grâce à Dieu – Duke Ellington et Louis Armstrong « . Hodeir n’hésite pas à remarquer: » En matière de swing, Fouad ne souffre pas la médiocrité; ce qui le rend parfois très désagréable aux yeux de son entourage, je l’ai vu, au cours d’une jam-session, s’arrêter de jouer, se tourner vers le guitariste et lui dire à brûle-pourpoint: » Voulez-vous passer votre guitare à Untel (un petit amateur), pour voir ce que ça donne? « (…) Fouad ne sera jamais une grande vedette. D’abord parce que tout effort le répugne. Ensuite parce que sa faible technique instrumentale ne lui permet de briller individuellement. Mais, tant qu’il y aura des orchestres de jazz en France, sa place, la première, est marquée au sein de la section rythmique « . ( Revue du Hot Club de France – jazz, janvier-février 1946, p.20 ). Après avoir eu une vie musicale brillante en ayant été notamment membre du Quintette de Hot Club de France, Pierre retourna dans son pays d’origine – l’Egypte. Il s’installa au Caire. On n’entendit plus parler de lui.
– Gaston Leonard succède à Pierre Fouad dans le Quintette du Hot Club de France. Il a joué dans le grand orchestre le » Collège Rythme » de Tony Proteau qui était devenu la célèbre formation du Lido.
– Jerry Mengo. D’origine italienne comme Arthur Motta et Armand Molinetti, Jerry a joué dans tous les orchestres dont Raymond Legrand. Prisonnier pendant la Deuxième Guerre mondiale, il étudie l’harmonie en Allemagne. devenu chef d’orchestre à la Libération, il écrit de nombreux arrangements. Batteur très solide, Jerry aimait jouer un morceau qu’il avait intitulé La batterie est en danger – morceau qui le mettait en valeur chez Raymond Legrand. Il tint pendant un temps la rubrique batterie dans la Revue du Hot Club de France où il répondait aux questions des lecteurs et donnait des conseils aux jeunes batteurs. Voici ce qu’écrit Jerry dans le numéro de novembre 1945 : » je me souviens de l’enthousiasme que déchaîna un de mes collègues à un concert de Pleyel lorsqu’il tira la langue à la 24ème mesure d’un solo sur Tiger Rag. Cette vogue qu’a connue le jazz ces dernières années, a donné à la batterie une place de tout premier plan, mais il semble régner dans le public et chez de nombreux musiciens une grande confusion pour tout ce qui concerne cet instrument. Tout récemment, alors que je jouais dans une ville d’eau, deux jeunes » swing fans » sont venus me voir pendant une pause de l’orchestre et m’ont félicité d’avoir enlevé le » record du solo de batterie « . Comme je tentais de les assurer que j’ignorais tout d’une monstruosité pareille, l’un d’eux expliqua à l’autre: » Il est trop modeste, mais je sais bien qu’il a gagné en faisant 72 mesures de solo, alors que le record précédent n’était que de 64 « . J’avoue que cette conception de la batterie me laisse rêveur. Mais je crois qu’elle représente ce que pense une grosse partie du public. Cela provient du fait que la batterie est probablement l’instrument avec lequel il est le plus facile de bluffer. On trouve un drummer » formidable » s’il peut taper très vite et très fort sur tous les accessoires variés que comprend son attirail. On oublie trop souvent que la batterie est un instrument d’accompagnement, et devant les réactions du public, de nombreux batteurs ont totalement négligé leur style d’accompagnement et portent tous leurs efforts sur le côté » chorus « . Ce qui est bien dommage « . ( Revue du Hot Club de France – jazz, novembre 1945, p.23 ).
– Marcel Blanche. Batteur qui a » fait le métier « , selon l’expression consacrée. On l’entend à côté de Claude Luter et dans les studios d’enregistrement.
– Teddy Martin. Excellent violoniste, Teddy était un batteur de style swing très demandé. Il s’est produit chez Alix Combelle. On l’a entendu aux Trois Mailletz ou au Caveau de la Huchette. Il a très souvent accompagné Claude Luter et de nombreux musiciens français et étrangers. Il a été également batteur au Lido. Il existait des baguettes » Teddy Martin » assez courtes.
Je l’aimais bien. Batteur talentueux, c’était un homme chaleureux et passionné avec un fort accent qui faisait tout son charme.
– Pierre Lemarchand. Il s’est produit avec Django Reinhardt dans les années 50 (?) au Club Saint Germain en 1951. Il a été surtout le batteur de Gilbert Bécaud pendant de nombreuses années.
– Gus Wallez. Remarquable rythmicien, musicien de studio très solide, Gus a joué au côté de Michel Legrand. Il a accompagné Zizi Jeanmaire. Il a enregistré avec le célèbre pianiste Earl Hines.
– Pierre Delin. Fête ses 75 ans en 1999. Avant la Deuxième Guerre mondiale il fait du bal musette. Pendant la guerre, il joue dans des revues de music-hall. Il a été le batteur d’Alix Combelle en 1948-49 et en 1955. En 1950-52, il a accompagné le plus brillant pianiste français de la fin des années 30 et des années 40: Léo Chauliac. Il se produit avec la chanteuse June Richmond au début de 1953, en 1954, puis en 1956-57. On l’entend avec François Charpin, Maurice Meunier, Guy Lafitte, Michel De Villers, Bill Coleman, Don Byas, etc. Il a enregistré le dernier disque de Bernard Peiffer en France. Batteur des revues du Lido et du Moulin Rouge, on a pu le voir jouer à la Huchette ou aux Trois Mailletz. Il participe aux dernières croisières du paquebot France au début des années 70. En 1971, il se produit avec Stéphane Grappelli notamment. A la suite d’un accident cardiaque survenu en 1984, il a ralenti ses activités.
– Jean Louis Viale. Habitué du Tabou, on l’entend aux côtés de Jimmy Gourley, Henry Renaud, Bobby Jaspar, etc. Il accompagne Clifford Brown pour les disques gravés à Paris en 1953. Il joue au Club Saint Germain puis accompagne Sacha Distel devenu chanteur. Il se produit avec des musiciens américains au Blue Note – Lester Young, Zoot Sims et Stan Getz. On peut le voir jouer avec de très nombreux musiciens français et américains aux cours des années 50 et 60 – Martial Solal, René Urtreger, Django Reinhardt, Art Farmer, Frank Foster, etc. Se tenant très droit à la batterie, avec un buste puissant, son style s’apparente à celui de Kenny Clarke qu’il admirait. Tiny Kahn et Mel Lewis étaient aussi ses batteurs favoris.
– Christian Garros. débute en 1939. Devient musicien professionnel après la guerre. il se produit avec Django Reinhardt et dans le big band de Jacques Hélian. On l’entend aux côtés de Bill Coleman, Roger Guérin, Bobby Jaspar, Lee Konitz. Très actif, il forme le Paris Jazz Trio avec Guy Lafitte et Georges Arvanitas et collabore à des musiques de scène et de film avec Duke Ellington, Quincy Jones et Michel Legrand. Il joue avec Miles Davis et Lester Young. Pendant 18 ans, il fait partie du trio Jacques Loussier avec Pierre Michelot et enregistre les 8 disques » Play Bach « . Il crée une école de jazz en Normandie et un big band d’amateurs, le Rouen Memory Jazz Band, qui deviendra le Grand Orchestre de Normandie. Comme l’écrit André Clergeat chez qui j’ai puisé ces informations: » Son drumming, intelligent et sobre, privilégiant volontiers le travail aux balais, lui a longtemps assuré une place dans le peloton de tête des batteurs en France « . ( Dictionnaire du jazz, Paris, Laffont, 1994, p.435 ).
– Roger Paraboschi. Il étudie l’accordéon et la batterie puis débute sa carrière professionnelle en 1945. Il joue alors avec l’accordéoniste Gus Viseur qui lui demande d’accompagner les valses aux balais dans le cadre de l’orchestre Ramon Mendizabal. » Personne ne jouait les valses aux balais à l’époque! » s’exclame Roger. il fait partie de l’orchestre de Pierre Braslawsky qui accompagne Sidney Bechet en 1949. Classé premier batteur au référendum de Jazz Hot en 1949 et en 1950, il obtient le grand prix du disque de l’Académie Charles Cros avec le contrebassiste Jean Bouchety et le pianiste Bernard Peiffer, leader du trio qui, aujourd’hui est scandaleusement tombé dans un oubli total: aucun enregistrement de ce pianiste exceptionnel n’est actuellement disponible sur le marché. En 1950, Peiffer jouait notamment du Jean-Sébastien Bach en trio avec Roger… bien avant Jacques Loussier! Roger se produit aussi avec de nombreux musiciens américains comme Don Byas, Hot Lips Page, Albert Nicholas, Bill Coleman, Lucky Thompson, James Moody. En 1950, il entre dans le nouveau Quintette du Hot Club de France. En 1954, le voici chez Aimé Barelli, après avoir accompagné Stéphane Grappelli au Club Saint Germain. Il accompagne Marlène Dietrich sous la direction de Burt Baccara pendant deux années et Yves Montand de 1953 jusqu’à la mort du grand acteur-chanteur. Il accompagne Bing Crosby avec Michel Legrand et Marcel Bianchi. Roger se souvient du premier disque qu’il a enregistré: il n’avait qu’une caisse claire, une charleston et une cymbale ride – interdiction lui était fait de prendre des toms et une grosse caisse! de 1959 à 1962 il se produit dans le big band et les petites formations de Claude Bolling. En 1964, il tient la partie de batterie dans le Concerto en Fa de George Gershwin sous la direction de Richard Blareau à l’Opéra de Paris. On peut voir et entendre Roger dans le film » Le Samouraï » de Jean-Pierre Melville. De 1972 à 1990, il joue tous les soirs avec André Persiani et Roland Lobligeois au Furstemberg, rue de Bucci à Paris. Si Paratonnerre chez Aimé Barelli montre toutes ses qualités de soliste, il est surtout discret et efficace aux balais en trio avec Bernard Peiffer ou en quartette avec Lucky Thompson, Martial Solal et benoît Quersin.
– Dante Agostini est un cas à part dans l’histoire de la batterie en France. Voici sa biographie telle qu’elle a été publiée dans la revue Jazz Hot de février 1973: « D’une famille de musiciens, Dante Agostini est né le 1er avril 1921 à Mercatello (Italie). Elevé en France, Dante fait des études musicales au Conservatoire de Douai aux côté de Georges Prêtre, Maurice Allard et Jacques Dièval (…). Puis devenu professionnel, il joue à Lille avec les Verstraete, Benny Vasseur, Grenu, Katarzinsky et Joseph Basile. Engagé en 1947 par André Ekyan, il jouera pendant un an au Casino municipal de Nice, puis travaillera avec Hubert Rostaing, retournant avec Ekyan pour un engagement aux Ambassadeurs de Paris. Devenu un professionnel apprécié, Dante partagera désormais son activité entre les studios d’enregistrement, le music-hall et le cabaret, jouant tour à tour avec les musiciens français les plus éminents (Django, Hubert et Raymond Fol, Alix Combelle, Jean-Claude Fohrenbach, Pierre Michelot, Claude Bolling, Roger Guérin, Stéphane Grappelli, Henry Renaud, Guy Lafitte) et les meilleurs solistes étrangers (René Thomas, Don Byas, James Moody, Ted curson, Bobby Jaspar, Nathan Davis, etc…). En 1966, il fonde une école de batterie et dès lors se consacre entièrement à l’enseignement, avec la publication à ce jour de dix volumes de méthodes et de solfèges, trouvant néanmoins le temps d’aller faire un boeuf lorsque l’occasion s’en présentait « . ( Jazz Hot, février 1973, p.35 ). Dante s’est associé à Kenny Clarke. Ils ont co-signé certaines méthodes. Parmi celles publiées en 1971, Méthode de batterie – Studies for the Drums, on peut lire dans le volume II des appréciations de Max Roach: » Enfin, je trouve dans cette méthode un développement logique et approfondi d’une conception moderne indispensable pour l’évolution actuelle de l’instrument, merci de tout coeur à Kenny et Dante « .; de » Philly Joe » Jones: » Je recommande à tous les batteurs de travailler ces méthodes qui leur feront faire d’énormes progrès « .; et d’Ed Thigpen: » Ces méthodes de l’école Kenny Clarke et Dante Agostini, ce sont la bible du batteur « .
L’association de Dante avec Kenny était, en fait, fondée sur un malentendu. Dante était surtout attiré par les problèmes posés par la batterie elle-même alors que Kenny considérait l’instrument comme secondaire, un moyen pour jouer de la musique. La technique de travail que développait Dante n’était pas celle de Kenny. Dante avait inventé un système de doigtés adapté à la lecture qui lui permettait de faire face immédiatement à toutes les situations, notamment dans des revues comme celles du Lido ou du Casino de Paris, par exemple. La préoccupation principale de Kenny était de travailler un répertoire de thèmes de jazz – notamment au piano – afin de pouvoir les accompagner à la batterie avec une parfaite connaissance des accords et de choruser dessus en suivant scrupuleusement non seulement la grille, mais les méandres de la mélodie (comme je l’ai montré à propos de Now’s the time, voir mon analyse détaillée dans Une Histoire de la Batterie de Jazz, tome II, pages 76 à 79 ). Dante et Kenny ont fini par se séparer. Depuis, l’école de Dante, dirigée aujourd’hui par Jacques-François Juskowiak, s’est considérablement développée pour former des batteurs de tous styles.
Je revois encore le sourire de Dante me faisant visiter son école installée chez Selmer, rue de la Fontaine au Roy, ou son profil dans un coin du club Le Chat-qui-pêche, rue de la Huchette, écoutant » Philly Joe » Jones, ou debout dans la file des gens qui faisaient la queue pour entrer dans la salle Berlioz au CNSM (Le Conservatoire National Supérieur de Musique) de Paris afin d’assister au concours de fin d’année de percussion classique de la classe de Jacques Delécluse. Il fallait à l’époque – nous sommes en 1971 – payer une entrée symbolique. Dante m’offrit la place, surpris de rencontrer un batteur de jazz en ce lieu. Quelques mois avant sa mort, il vint me voir au CIM, étonné et ravi de me surprendre en train de faire travailler deux élèves simultanément sur son Solfège rythmique, cahier n°5 à deux voix qu’il n’avait conçu que pour un seul instrumentiste! Dante était un homme chaleureux, jovial et passionné par son instrument. Le soir du 21 avril 1980, il sort du club Le Furstenberg. Un malaise cardiaque le terrasse. Voici quelques réflexions qu’il nous a laissé:
» – Si la musicalité est un don, la technique est égale au nombre d’heures de travail sérieux passé sur l’instrument (…).
– Sachez que le génie est fait de 90 % de travail et qu’un batteur moyennement doué, mais qui aura sérieusement travaillé, sera toujours meilleur qu’un génie qui ne peut s’exprimer faute d’avoir acquis les moyens de le faire (…).
– La technique est le seul moyen qui permette au drummer d’acquérir la maîtrise de son instrument mais lorsque le bon drummer joue, il doit totalement oublier ces recettes techniques, afin de donner libre cours à sa pensée musicale qui fera inconsciemment appel à la technique acquise pour exprimer au mieux ses idées (…).
– Pour les exercices techniques, il est important de travailler très lentement. Comme pour les autres instrumentistes, la base de travail, c’est l’exécution très lente des gammes. Pourquoi? Simplement parce que lorsque vous jouerez, c’est votre subconscient qui se chargera de l’exécution technique et le subconscient n’enregistre qu’à la condition de travailler lentement (…)
– Aujourd’hui, après trente ans de métier, dont six de professorat, je pense avoir atteint mon but: apprendre la batterie comme on apprend à jouer du piano (…).
– C’est un métier qui exige toute votre vie durant beaucoup de travail, car il faut toujours apprendre et s’améliorer, mais qui procure de grandes satisfactions et la promesse d’une vie pleine et intéressante (…).
– Je considère ce métier comme très difficile mais, si je devais refaire ma vie, je recommencerais exactement ce que j’ai fait « . ( Jazz Hot, février 1973, p.35 ).
Considéré davantage comme batteur de variété que comme musicien de jazz, Dante Agostini ne figure dans aucun dictionnaire de jazz. Je le regrette car les jeunes batteurs d’aujourd’hui qui travaillent encore avec ses méthodes ou entrent dans les écoles qui portent son nom ignorent en général tout de sa vie.
L’une des plus anciennes méthodes françaises de batterie s’intitule La Première Méthode de jazz (!). Signée » par le professeur Charlys, banjoïste et jazz des dancings parisiens » et éditée par Paul Beuscher, elle date de 1933 ou 1934. En 1943, le batteur Léon Agel écrit sa Méthode de batterie avec une préface d’Armand Molinetti. Par la suite il monte sa propre maison d’éditions et publie La Technique de la batterie puis La Batterie et sa technique en 1950, tout en mettant au point un nouveau set de batterie – la batterie » Pax » – » un chef-d’oeuvre d’élégance et de bon goût » selon Armand Molinetti qui précise: » Tous les accessoires disgracieux indispensables aux anciennes batteries disparaissent pour la plus grande joie des yeux. La tension des peaux est simplifiée par la manipulation facile et extrêmement rapide d’un seul bouton de commande. Le dispositif pour la fixation des peaux sur le fût permet de changer en quelques secondes une peau accidentée (…). grâce à cette invention française les Batteristes ne connaîtront plus l’ennui de jouer sur des peaux mal réglées par suite des dépressions atmosphériques et ne connaîtront plus le cas tragique d’une peau de caisse claire crevée en plein travail « .
Que Roger Paraboschi soit ici particulièrement remercié pour toutes les précieuses informations qu’il m’a fournies. Ma reconnaissance va également à Pierre Delin qui m’a donné quelques renseignements très utiles. G.P