Préface
Du pithecanthropus erectus qui frappe la pierre aux tambours de Mésopotamie et de Chine, du scabellum – ancêtre de la charleston, invention des Romains – à cet assemblage nommé batterie, du tambour des soldats napoléoniens aux work songs des esclaves, des liturgies des talking drums d’Afrique au rituel non moins liturgique des 4/4 des batteurs de l’Amérique urbaine des années 40 et 50, un fil subtil mais indestructible semble unir les habitants le la petite planète à travers les faits et les méfaits de l’Histoire. Comme le coeur qui percute dans la poitrine, comme l’on inspire et l’on expire, comme le flux et le reflux de la mer, comme le jour et la nuit, il y a des hommes qui se font l’écho de ce tout qui n’est autre chose que le RYTHME. Ainsi continue le voyage fascinant auquel nous convie Georges Paczynski. Nous voyons comment ces “ hommes-percussion “ sont des personnages-clef semblant anticiper la marche de l’Histoire en créant ce qui pourrait ne paraître que l’apanage des leaders, mais dont ils sont aussi les instigateurs: l’évolution de la musique de jazz. Le jazz n’a jamais cessé de nous proposer de nombreuses histoires où, en arrière-plan, d’heureux couples batterie-contrebasse, piano-batterie et contrebasse-piano et ménages à trois piano-contrebasse-batterie si j’ose dire, jouent les deuxièmes rôles essentiels pour faire tenir debout les scénarios de la section rythmique, scénarios séduisants, énergiques, attachants, surprenants et combien de fois révolutionnaires. On apprend qu’au fur et à mesure des progrès de la technique instrumentale, les batteurs libèrent de plus en plus leurs mains et leurs pieds, traçant ainsi le chemin vers une grande liberté rythmique, vers le suggéré, le sous-entendu, sans perdre de vue l’essence de la pulsation, le potentiel mélodique et harmonique de l’instrument, l’indispensable dialogue interactif avec les autres. Stimulateurs d’idées, injecteurs d’adrénaline, créateurs d’espace, brillants coloristes, félins à l’affût, les batteurs n’en finissent pas de nous envoûter et de nous enchanter avec leurs chorégraphies généreuses, en tissant avec les contrebassistes et les pianistes les tapis rêvés pour l’envol des solistes. Pour avoir côtoyé l’homme et le batteur, je sais bien la passion, l’enthousiasme que Georges nourrit pour cet instrument, son goût de décortiquer chaque détail par amour de compréhension de cette musique – car il s’agit d’amour – et dans le partage de cette compréhension.
Après l’écoute de son livre, on ne lira plus jamais de la même façon la partie d’un batteur de jazz.
Riccardo Del Fra (30 août 1999)