Préface – Le Gai savoir de Georges Paczynski
On ose à peine l’avouer tant cela paraît incongru, mais la pratique de la batterie, dès qu’elle devient lucide, dès qu’elle suppose plus de silence en soi que d’éclats au dehors, ressemble à une initiation. Or, le silence, sans lequel la musique étouffe, comment le dénicher à l’éventaire de la fureur et du bruit? D’un appareil à tonnerre, comment faire une machine à rêver? Comment peut on être batteur et avoir le battage en horreur? C’est un mystère. Et tel est le mystère qui, depuis que je le connais – depuis un premier rendez-vous au café de Cluny, il y aura bientôt trente ans – obsède Stanislas Jerzy Paczynski. Qui le hante et qui l’anime. Qui le rend perplexe et qui le rend heureux. Qui l’empêche de dormir, mais le tient en éveil. Qui l’enracine dans un monde dont bien des choses inciteraient à se détacher. Aussi, lorsqu’il s’agit de musique, son gai savoir est-il l’un des plus efficaces contrepoids que je connaisse. Aux pesanteurs du quotidien bien sûr, mais aussi à la tentation, pas moins mortelle, de l’impondérable. Car, pour prolonger un célèbre mot de Péguy à propos de Kant, il ne sert à rien d’avoir les mains pures si l’on n’a pas de mains. Surtout lorsqu’on est percussionniste. Paczynski n’a pas son pareil pour vous faire traverser les apparences et vous ramener illico dans le champ de la gravitation, mais délivré de vos adhérences. Avec des envolées joyeuses et une gravité profonde, il lève plus qu’un coin de voile sur les minuscules mais considérables secrets du geste, lieu de rencontre entre le mutisme et la parole. Racontant ici – avec quels scrupules et avec quelle tendresse – l’histoire des batteurs, il retrace l’histoire de ces instruments, de ces outils magiques égarés dans le siècle de la technologie, que chaque praticien doit domestiquer comme s’il les avait tirés du bois et du bronze, quand bien même il les aurait choisis d’après ces répertoires enluminés, à moitié prospectus de fête foraine, à moitié catalogues de matériel chirurgical, que proposent à la fascination publique des facteurs ignorant jusqu’au nom de Cheval: des industriels terriblement pointus, qui ont calculé dans des laboratoires, des bureaux d’étude, sur des planches à dessin, à l’aide de graphiques multicolores, l’épaisseur et la densité de chaque fût, l’angle du moindre coup de scie, le profil exact du plus petit orifice. Etudier au microscope la panoplie du cataclysme, est-il rien de plus chic? De tout cela, il est fort peu question dans ces pages. Elles ne nous laissent pas grand chose à ignorer, en revanche de l’homme qui, à l’âge de l’hologramme, s’est mis en tête l’étrange idée d’inventer son propre corps. De l’inventer tel qu’il est mais tel qu’il ne l’a plus. On apprend ici des noms, des dates, des faits, des merveilles en grand nombre, des triomphes – et des misères, hélas. On apprend surtout, mine de rien, que les tambours et les cymbales sont le contraire de ce qu’ils paraissent être. Le contraire de ce pour quoi vous et moi – et l’auteur, j’imagine – nous nous sommes épris d’eux. Un beau matin, nous sommes tombés amoureux d’un fracas magnifique, sans deviner que commençaient alors d’interminables, de difficiles, peut-être même de périlleuses fiançailles avec la réserve, l’abstinence, les chuchotements et les murmures: tout ce qui fait taire l’agitation de l’existence pour donner à entendre, très pur, très simple, mais très énigmatique encore, le souffle de la vie. Ainsi, ce livre sans pareil explore-t-il le territoire mal connu de la musique où ce qu’il y a de plus primordial en elle se confond avec ce qu’elle suppose de moins primitif. Alain Gerber (15 février 1997)
Après la parution de “ Rythme et Geste “ j’ai tout naturellement enchaîné sur les racines de mon propre instrument – la batterie de jazz. Certes, il existait déjà des biographies séparées de batteurs, mais aucune analyse de fond sur l’ensemble de la question. J’ai donc entrepris de mêler à la fois la vie des batteurs et l’étude de leurs styles. Ce travail à la fois musical, sociologique, musicologique et philosophique s’effectua de 1988 à 2005 et parut sous le titre “ Une Histoire de la Batterie de Jazz “ (3tomes). G.P
Ce tome 1, dans son intégralité, a fait l’objet d’une traduction en langue américaine qui, jusqu’à ce jour, n’a pas été publiée. Nous recherchons toujours activement un éditeur pour les pays anglophones.