Les racines du rythme musical dans les civilisations anciennes Préface
Voici un livre qu’on ne saurait enfermer dans une catégorie étroite. L’une des raisons en est évidemment qu’il s’agit, comme le dit l’auteur lui-même, d’une oeuvre multi-disciplinaire. Mais c’est aussi parce que ces pages se situent à la rencontre de deux vocations, ou peut-être deux passions. Stanislas Georges Paczynski est un musicien, plus particulièrement un percussionniste, compositeur et professeur en ce domaine. D’autre part, il consacre d’intenses recherches à la sociologie et à l’histoire des civilisations. D’où cette quête des rapports entre l’évolution humaine et celle du geste rythmé. Est-ce le premier de ces deux termes qui influence le second, ou bien l’inverse? Sans aucun doute, il s’agit d’une relation fondamentale que certains qualifieraient de dialectique.
Le lecteur pourra tirer de ce livre un double profit. D’une part, il y trouvera une somme considérable de renseignements sur les sociétés traditionnelles, une documentation exceptionnelle concernant la préhistoire, l’ethnographie et l’histoire de l’Antiquité, aussi bien en Mésopotamie qu’en Egypte, en Grèce, en Inde ou en Palestine. L’érudition de l’auteur, puisée aux meilleures sources, en fait un ouvrage de référence que l’on peut consulter en diverses occasions.
D’autre part, il s’agit là d’une réflexion très originale, qui permet de mieux comprendre les comportements sociaux des origines à nos jours. L’étude des gestes et des rythmes apparaît alors comme inséparable de celle des rites et des mythes, à des époques où le sacré ne se distingue pas du profane. Tout alors a un sens pour l’homme, aussi bien la vie que la mort, aussi bien l’acte qui construit que celui qui détruit. C’est dans les profondeurs de la préhistoire, dès le paléolithique et peut-être même avant que se dessine cette conquête de la transcendance qui semble caractériser notre espèce, aussi longtemps du moins qu’elle ne voile pas sa naturelle spiritualité. La musique et surtout sa forme la plus gestuelle qui est la percussion est le miroir de ces évolutions et de ces enracinements.
Les deux premières parties de l’ouvrage s’enchaînent et l’on passe de la protohistoire aux sociétés antiques sans rupture. Et puis, tout à coup, la troisième partie nous fait faire un saut non seulement dans le temps, puisqu’elle nous situe dans le vingtième siècle, mais aussi dans la réalité sociologique et presque ontologique de l’humanité. Voici qu’elle coupe le lien entre le profane et le sacré, qu’elle oublie la signification profonde de ses gestes.
Et c’est encore le regard du musicien, du percussionniste, qui cherche à percer le mystère de ces changements. Une incursion vers la psychanalyse conduirait peut-être à voir dans le geste de celui qui frappe sa caisse claire un substitut du meurtre du père. Et, si l’on passe de Freud à Jung, on trouvera plutôt que l’art du geste établit un équilibre entre animus et anima.
Mais les moeurs contemporaines nous éloignent surtout de l’harmonie que les sociétés traditionnelles mettaient et vivaient entre l’homme, la nature et le sacré. Et notre auteur, qui en a le coeur gros, nous parle avec force de la décadence de la musique, ou plutôt de ses finalités dans la société moderne, où elle subit la mode de la vedettisation, de la recherche du spectaculaire et de la prouesse. Il s’agit surtout de jouer vite et fort, et la technique supplante la spiritualité. L’art du rythme se perd de plus en plus.
Ainsi, guidé par son expérience et ses exigences de percussionniste, Stanislas Georges Paczynski éclaire d’un jour nouveau aussi bien la naissance des civilisations que les dangers menaçant notre vie moderne.
JEAN CAZENEUVE de l’Institut. (Janvier 1988)
Après avoir écrit sur “ Baudelaire et la Musique “ (Doctorat de 3ème cycle – Paris III Sorbonne, 1970 -1973) et emprunté les voies des racines du Spleen et de l’Idéal – tout en en constatant les limites sur le plan personnel – j’ai entrepris la suite de cette recherche mais à une autre échelle. Je me suis plongé dans celles des racines du premier geste humain et celles du premier geste musical. Et c’est ainsi que j’ai commencé mes recherches sur les racines du rythme musical dans la préhistoire et les civilisations anciennes. La rédaction de “ La Genèse du rythme et l’Anthropologie gestuelle “ m’a pris dix années (1973 – 1983). G.P
La réduction de ce Doctorat d’Etat soutenu à Paris IV Sorbonne en 1984, est parue en 1988 sous le titre “ Rythme et Geste, les racines du rythme musical “ (1984 – 1988).
Document disponible ici : Texte lu de la soutenance